Mon expérience avec les dauphins.

14 août 2015

Un train bondé, à deux étages me mène à l’aéroport de Genève, où je vais retrouver ma cousine Flo. J’ai l’impression de partir si loin que le retour n’est qu’une projection floue. Après plusieurs jours de nettoyage et de rangement dans mon appartement, pour cause de travaux incontournables, je pars fatiguée, mais libre et disponible. Prête à entrer dans un monde nouveau, pour aller y explorer ce que je ne connais pas. L’océan et ses habitants. Plus précisément : LES CETACES.

Mon but : Me nourrir de connaissance et d’amour. Alimenter ma source de créativité, déjà très active, surtout depuis plus de trois ans. Je sais que ce voyage n’est pas dû au hasard. Car sans m’en rendre compte, je le prépare depuis que j’ai décidé de raconter des histoires sous-marines.

Je sens que j’avance dans un monde en expansion : celui de la force énergétique et spirituelle. Je veux le regarder autrement. Mettre de côté la notion de temps… même si les horaires me permettent quelques connexions nécessaires. Pourquoi ne pas aller au-delà de l’image, pour en saisir l’intention, la beauté ? Saisir la vibration de l’âme et se réduire à l’état d’atome, de positron… Puis sentir ce qui m’attire, ou pas! Ecouter les sons, et plus fins encore. Me laisser emporter, sur les rails, puis au-dessus des nuages, sur la route et sur l’eau, sur le chemin de la découverte et du partage.

Les Açores : un groupe de neuf îles, au milieu de l’Atlantique. A l’est de la dorsale atlantique, là où les trois continents se rejoignaient, il y a très, très longtemps… Lieu mythique qui aurait hébergé une civilisation disparue ?

Je m’égare. Revenons sur Terre ! Le dépaysement est total. Végétation luxuriante, palmiers, forêt dense, buissons fleuris, haies bien taillées, vignes échevelées encadrées de murs en pierres noires. Le volcan se cache en partie derrière un nuage horizontal. L’île de Pico est souvent couverte, ce qui explique les couleurs intenses de ses plantes. Longue de 42 km et large de 15, elle héberge environ 14 600 habitants. De notre côté, l’océan s’étend à perte de vue. Ses couleurs sont aussi changeantes que le climat. Que me cache-t-il ?

Déjà à l’aéroport de Lisbonne, notre escale, le groupe commence à se former. Claire, du sud de la France, Cathy du Nord, et Sylvie du centre, nous rejoignent, Flo et moi.

Arrivés la veille à Lajes do Pico, Alain et Catherine, de France aussi, nous attendent à l’hôtel (Adeia da Fonte). Sophie nous accueille, tous les sept, avec chaleur. Ses yeux brillent. Elle sourit, nous invite au partage : les repas, les sorties quotidiennes en mer, mais aussi nos impressions, nos joies, nos doutes… Désormais, nous allons constituer une famille de huit membres, soudés par la même envie : Ecouter et voir les dauphins, …les approcher peut-être, et recevoir ce qu’ils voudront bien nous transmettre.

 

15 août 2015

Un magnifique jardin botanique entoure les «maisons-appartements » de l’hôtel. Plusieurs chemins dallés ou tapissés de copeaux, mènent à des points de vue, des criques, une plateforme « solarium », une autre pour accéder à l’océan et s’y baigner, et même à une piscine. Des tables et bancs en pierre de lave nous invitent à s’y arrêter, ou pique-niquer.

Face à l’océan, assis en cercle, nous respirons à plein poumons. Recueillement, puis détente nous amènent à l’échange. Chacun de nous se présente, explique son lien avec les dauphins, et ses intentions durant cette semaine à venir. De retour à l’hôtel, Sophie nous présente différents cétacés, plus précisément ceux que nous pourrons rencontrer, avec diaporama et vidéo à l’appui.

Après le repas de midi : pratique de la nage avec palmes-masque-tuba.

Pas tous égaux sur ce coup-là ! Avancer avec des palmes aux pieds demande de la pratique. Et gérer un masque ou un tuba qui fuit, aussi !

Mais l’effort vaut la peine, même dans cette petite crique. Sous l’eau, un trésor : des poissons frétillent autour des pierres.

En fin d’après-midi, nous montons dans une fourgonnette bleue. Sophie nous conduit au port.

Un zodiaque nous attend. Mario, le skipper, tient la barre. Marcio nous accueille. Lui aussi veillera sur nous durant le voyage. Trois rangées de sièges disposés dans le sens de la longueur, bien rembourrés, peuvent accueillir une vingtaine de passagers. A huit, nous prenons nos aises ! Les sacs de matériel à nos pieds, nous choisissons des places espacées. Assis à califourchon, déjà en costume de plongée, nous sommes prêts pour ce premier voyage.

A peine sorti du port, le bateau fend les flots. Il me semble très rapide. Je n’ai pas beaucoup de point de comparaison, à part un voilier sur le lac ou un lourd bateau à aubes… et le ferry qui nous a conduits de Horta à Madalena !

Le cap est déterminé par plusieurs indications : celles des vigies qui scrutent le large depuis la terre, celle de Mario qui connaît bien la région, et le contact télépathique que Sophie entretient avec les cétacés. Une combinaison gagnante. Soudain, le bateau rectifie sa trajectoire. Puis s’immobilise. Au loin, une nageoire dorsale… Non, plusieurs! Un groupe de dauphins tachetés nage devant nous, puis autour. Nous avançons lentement. Ils nous accompagnent, comme une escorte. Leur corps clair et constellé de taches plus sombres brille sous la surface. Agiles, ils changent de direction, effleurent les flots pour respirer, et plongent de concert. Souvent très proches les uns des autres, sans jamais se percuter. Sophie invite les deux premiers d’entre nous à se préparer. Sylvie et Cathy descendent dans l’eau, observent à travers leur masque les dauphins encore présents. Car ils ne restent pas. Ils s’éparpillent et s’éloignent.

Mario conduit le zodiaque en arc de cercle pour les rejoindre sur leur trajectoire. En douceur, respectant une distance qui leur laisse le choix : Nous contourner ou s’approcher. Ils sont curieux et enjoués. A plusieurs reprises, chaque équipe de deux peut les observer « de l’intérieur » : sous l’eau avec eux. Mais chaque visite ne dure qu’une petite poignée de minutes. Ils nagent devant nous et s’en vont. Ou ils passent à deux mètres sous moi, encore dans la lumière, comme une apparition. Montent vers la surface comme une formation acrobatique, parfaitement verticaux. Leur nageoire caudale oscille avec grâce. Ils se séparent en éventail. Se rejoignent plus loin, au-delà de mon champ de vision. Quelques secondes d’une grande intensité!

Je remonte sur le bateau, le cœur gonflé de joie. Ce premier souvenir restera marqué à jamais dans ma mémoire. Je suis émerveillée et reconnaissante. Ce ballet aquatique, pourtant très éphémère, a eu lieu sous mes yeux. Ils auraient pu partir en ligne droite, comme des flèches. Mais ils m’ont offert ce spectacle. En toute liberté.

A la surface, des dizaines d’oiseaux se sont rassemblés. Semblables à des goélands de loin, ils sont bruns côté ciel et blanc sous le ventre. Les puffins se partagent des poissons ? Les dauphins, eux aussi ont repéré ce garde-manger. Les oiseaux, dérangés, volètent puis reviennent.

Nous longeons de loin, la côte sud de l’île, jusqu’à la pointe. Des familles de dauphins se déplacent ensemble. Des mères avec leur petit, encadrés par les marraines, nagent en parfaite symbiose. Leurs nageoires alignées percent la surface aux bleus changeants. Les dauphins ne montrent leur tête, leur évent, et leur dos que pour inspirer. Puis ils disparaissent, plus ou moins profondément. Où ressortiront-ils ? Comme ils chassent, nous n’allons pas les déranger. Nous revenons au port sous le coucher du soleil. En pensée, je remercie les dauphins d’avoir été si nombreux au rendez-vous.

Flo et moi gardons nos « combis » sur nous, pour les rincer directement sous la douche. Le corps et la tête ensuite. Le savon aux plantes que l’hôtel met à disposition dans la salle de bain est très agréable. Il y a même un lait pour le corps!

Les cheveux encore humides, nous mangeons autour d’une grande table, dressée pour nous sur la terrasse du restaurant. L’air de la nuit s’est un peu rafraîchi. Des plats végétariens ou du poisson sont préparés avec soin. Goûts raffinés et diversité. Quant aux desserts, dignes de grands pâtissiers, difficile de ne pas les tester, tous jour après jour… et d’en redemander !

 

16 août 2015

Une jaquette s’impose, ce matin. Levées tôt, Flo et moi prenons notre petit déjeuner sur la terrasse, sans appétit.

Nous embarquons à 9h00. Pour être plus disponible et à l’aise, je n’ai pas enfilé ma combinaison de plongée. Elle est un peu petite pour moi, car elle appartient à Flo.

Au programme de cette sortie : photos et dessins. Prendre le temps d’observer, sans être sur le qui-vive pour être prête à plonger à temps. Le ciel est couvert, cotonneux et gris, où parfois une luminosité fugace se fraye un passage. Au moins, il ne pleut pas ! Malgré le temps, nous rencontrons plusieurs espèces : Dauphins de Risso, plutôt calmes. Baleines à bec dont la nageoire dorsale peu développée est reconnaissable de loin, puis des globicéphales qui nagent en groupes parallèles. Ils dégagent une puissance tranquille et apaisante. Parfois on devine un œil gris et leur rostre très court. Facile de les distinguer des autres cétacés grâce à leur nageoire dorsale, incurvée comme un crochet arrondi. Plus loin, des baleines à bec, de Sowerby cette fois. Toutes ces espèces sont protégées par une loi qui nous interdit de nous mettre à l’eau. Leurs apparitions sont courtes. Leurs jets puissants se voient bien à distance. Comme je l’avais prévu avant de partir, cette sortie est dévolue à l’observation. Pour tous ceux qui m’accompagnent aussi ! Sur le trajet du retour, pas loin du port, des dauphins bleu et blanc, vifs et joueurs, nous offrent de magnifiques sauts. Avec eux, il est permis de descendre. Quatre d’entre nous en profitent. Mais la surprise ne dure pas. Ils voient peu de chose. Je ne regrette pas mon choix. En restant à bord du bateau, je me sens plus réceptive. En plus, je ramène comme prévu photos et des dessins. Et surtout, ma combi, mal adaptée à mon corps, ne m’a pas entravée.

En fin d’après-midi, Sophie nous propose une initiation à l’Hoponopono. Tradition hawaïenne basée sur la méditation, le pardon et l’auto guérison.

Durant le repas du soir, nous partageons plusieurs fou-rires. A la tombée de la nuit, cette île est survolée par les puffins, aperçus sur la mer la journée. Manger n’est plus leur principale préoccupation. Ces oiseaux marins aiment aussi la drague ! Ils appellent leur dulcinée en poussant des cris si étranges qu’ils nous paraissent ridicules. Traduits en onomatopée, ils donneraient ceci : AHIN HIN HIN TRIIT, HIN AOU AOU AoOU… TRIIT ! En fait, c’est encore plus déjanté que ça. A chaque fois, on ne peut pas s’empêcher de pouffer. Quand ils passent près de nos fenêtres, la nuit, ils me réveillent. Je ne suis pas restée assez longtemps aux Açores pour que mon cerveau les intègre dans les bruits nocturnes habituels.

 

17 août 2015

Notre sortie en mer est prévue à 17h00. Sophie nous propose une balade à la pointe de l’île. Comme le ciel est toujours gris, personne ne pensait passer cette journée à lézarder ou se baigner. Bonne occasion de découvrir les environs. Depuis les vitres de la fourgonnette bleue, le paysage est vert foncé, encadré de pierres noires. Elles composent aussi les murs des maisons, entourées de chaux très blanche. Parfois, ils sont crépis et peints de couleurs pastel. Rose ou saumon de préférence. Les jardins sont toujours très fleuris, comme le bord des routes. Depuis la pointe de l’île, nous apercevons l’île Saint-Jorge. Notre véhicule s’arrête devant un bâtiment militaire, dont la tour sert de phare. Nous le contournons, à pied, pour longer un sentier étroit, bordé de rochers de lave. Structure poreuse, sans angles vifs, parfois collés les uns sur les autres en colonne irrégulière. Des touffes d’herbe vert clair se frayent un passage entre les cailloux, et contrastent avec la végétation plutôt sèche des lieux.

Nos estomacs commencent à grogner. Une pause-pizza convient à tout le monde. Nous en choisissons trois grandes, partagées entre nous huit. Nous nous sommes rapidement mis d’accord sur leur garniture. Tout semble simple : mêmes envies et mêmes joies.

Notre route continue du côté nord de l’île, jusqu’à la hauteur de Lajes do Pico. Là, nous montons vers les pâturages. Saluons quelques vaches. Observons le volcan, dont la cime se cache. Croisons des chèvres et même un cheval. Le bord des routes, bien entretenu, est souvent coloré : buissons d’hortensias rose, blanc ou bleu. Beaucoup de fleurs jaunes en grappes verticales dont le nom ne m’est pas connu. Et des palmiers hirsutes, des pins efflanqués, des arbres dont les branches se terminent par des bouquets verdâtres que nous surnommons « broccolis »!

Nous entamons la descente sur l’autre versant, en surplomb de la route qui mène à l’hôtel. Devant nous cette portion d’océan que nous avons déjà sillonné la veille.

 

Nous quittons le port. A l’horizon, le ciel est bleu. Au-dessus de la terre et de nos têtes, un long nuage grisâtre. Le paysage se résume à trois bandes verticales : une grise cotonneuse en haut, une bleue pâle au milieu, et une bleue foncée, mouvante, en bas. L’eau reste calme malgré le temps. Comme ces dauphins de Risso que nous croisons sans nous arrêter. Peu après, nous aimerions nous attarder pour observer des grands dauphins. Ma référence au héros « Flipper » est encore bien présente ! Sophie sent qu’ils ont déjà été agacés toute la journée par le passage des touristes. Nous passons donc sans les déranger. Le bateau file à pleine vitesse vers le large, où nagent des baleines à bec. Quelques courtes nageoires dorsales apparaissent à la surface, puis plus rien… Nous revenons vers l’île. Croisons un groupe de globicéphales, chahuté par des dauphins tachetés. Certains d’entre eux s’éloignent. Il est possible de nager avec les tachetés. Comme les globis sont assez loin, je descends doucement dans l’eau, accompagnée de Flo. Plonge la tête sous l’eau. Ils sont là. Trois dauphins montent depuis le fond, derrière moi. Puis ils avancent, à deux mètres de profondeur. L’un d’eux lève les yeux et me regarde. Une seconde magique où je le capte. Je me sens remarquée, identifiée, acceptée. Les dauphins continuent en direction de Flo, plus devant. Un cadeau pour elle aussi. J’ai eu l’impression de les voir durant plus longtemps que les fois précédentes. Le bateau s’est éloigné de nous. Comme je ne vois plus rien de particulier dans l’eau, je lève la tête. Marcio nous appelle. Nous rentrons. Agripper l’échelle, ôter les palmes et se hisser sur le bateau… Le cœur en fête. Deux autres participants plongent ensuite. Puis nous devons revenir au port. En guise d’au revoir, un petit groupe de tachetés nous croise sans dévier leur trajectoire pour s’approcher de nous. La lumière du soir et les reflets sur l’eau forment un mélange de couleurs très artistique. Je ramène de belles photos, trois petits films et une expérience magnifique. Réussite totale, même si je n’ai plongé qu’une fois.

 

18 août 2015

Départ du bateau à 9h00. Temps mitigé. Ma combi est encore humide et me serre. Mario a rasé sa barbe. Dommage, il ressemblait au capitaine Haddock! Nous pensions qu’il n’était pas encore arrivé, alors qu’il nous attendait à bord. Marcio, toujours serviable, nous propose des vestes coupe-vent. Ce jour-là, personne ne se mouille. Après une longue recherche sur un océan trop calme, nous croisons quelques globicéphales. Un appel radio incite Mario à virer de bord et filer vers le large. Neuf cachalots avancent tranquillement. Quatre bateaux voguent à vue, chargés de touristes. Nous approchons, avec douceur. Mario les contourne et anticipe le mouvement des baleines. Pendant une vingtaine de minutes, nous les observons onduler sur et sous la surface, au rythme de leurs jets d’eau obliques, traces visibles de leurs respirations. Ils plongent, appelés par l’envie de manger, peut-être. Le dernier à partir nous salue en arquant son dos plus que les autres. Sa queue majestueuse se cabre, sort de l’eau dans un scintillement de gouttelettes. Elle se dresse, croissant noire et souple, puis disparaît dans le bleu irisé et huileux. Il est déjà l’heure de rentrer. Trois dauphins tachetés, jeunes et pressés, passent à côté de notre zodiaque, mais ne ralentissent pas. A cinq cents mètres du port, le bateau s’arrête. Panne d’essence. Heureusement, nous rentrons avec le moteur de secours, plus lentement que prévu. Nous n’aurons pas droit au virage penché, pour contourner la jetée, là où Mario nous offre à chaque retour une démonstration de pilotage.

Nous n’avons pas été nager avec les cétacés. Ni peau collante, ni cheveux mouillés. Nous sommes tous secs ! Plus agréable pour aller manger au port comme prévu! Il y a toujours un avantage aux inconvénients !

La visite des boutiques, peu nombreuses, n’a pas été fascinante. Ce n’est pas ici que nous épuiserons notre budget vacances. A part des sculptures sur pierres de lave ou sur des os de baleines, le choix est pauvre. Pas question de cautionner un artisanat qui utilise des êtres vivants.

Alain, Catherine, Sylvie et Claire décident de rentrer à l’hôtel à pied (environ 3 kilomètres, le long de la route). Je préfère garder mon énergie pour les jolis sentiers qui entourent l’Aldeia da Fonte. Cathy, Flo et moi optons pour un retour en taxi. Cinq Euros pour les trois!

Une promenade pleine de charme dans le jardin nous attend, mais les chemins ne nous mènent pas aussi loin que nous le pensions. Avant le repas, une séance de méditation, guidée par Sophie, nous offre la possibilité de nettoyer nos cellules de leurs mémoires négatives, et de nous ressourcer à la fontaine de l’Energie Universelle.

Après le dîner (souper pour les Suisses !), je passe la soirée connectée à mon smartphone. Envoi d’images sur le net, messages, téléphoner à mon doux mari. Puis dessiner quelques dauphins et écrire mes impressions du jour.

 

19 août 2015

Enfin le soleil est revenu. Grand ciel bleu sans nuage!

Ce matin, Sophie nous offre une nouvelle expérience : la marche méditative. Nous commençons par une relaxation, debout en cercle, puis nous marchons, conscient de chacun de nos sens, les uns derrière les autres, à notre rythme. J’entends avec beaucoup plus de netteté : les vagues contre les rochers, le chant des oiseaux (il n’y a pas que des puffins !), le souffle léger du vent. Je sens l’odeur des fleurs, des écorces, des feuillages, de l’air marin. Discrètes effluves qui flottent dans l’air. Le soleil caresse ma peau, une petite brise tiède aussi. J’effleure une pierre rugueuse, un tronc effiloché. J’accueille sous mes pieds l’énergie de la terre, j’imagine une colonne de lumière venir du ciel et pénétrer au centre de mon crâne. Je vibre sur la même fréquence que la nature. Me fonds en elle. M’arrête sur un rocher noir, face à la falaise léchée par les vagues. M’attarde sur l’eau verte, écumeuse, transparente, qui invite en vain le roc à danser. Mes yeux se lèvent vers l’horizon. Ligne lointaine parfaitement droite. Frontière entre l’eau et l’air. A ma droite, le noir des rochers se découpe sur l’azur du ciel. Autour de moi, mes compagnons de voyage ont trouvé leur place, assis, accroupi ou debout, face à l’océan, détendus, en contemplation. Je m’imprègne de la force qui se dégage de ce lieu magnifique. Je sens une nouvelle énergie se répandre en moi, dans chacune de mes cellules. Je m’intègre. Je suis là et je suis bien. Personne ne parle. Même absorbés dans notre monde intérieur, j’ai l’impression que nous restons connectés les uns aux autres.

Après avoir partagé notre expérience, une baignade est bienvenue. Nous laissons nos vêtements et nos chaussures sur les plateformes en bois disposées bien à plat sur les rochers. De là, nous accédons à une échelle en deux paliers. Elle nous mène, bien cinq mètres plus bas, dans l’océan. L’eau, légèrement fraîche, est stimulante. Pour nager, sa température est parfaite. A une vingtaine de mètres du bord, nous nous retrouvons, flottant, le corps libre de combis et de palmes. Je réalise que pour une fois, nous sommes tous réunis dans l’eau. Lors de nos sorties en bateau, la règle incontournable nous oblige à ne nager que deux par deux.

Quelques constats : la roche volcanique est stable et ronde. Avec la chaleur, les éléments sont soudés entre eux, et leurs aspérités possibles ont fondu. Je ne connaissais que la pierre alpine, pointue, friable et bancale, parfois!

 

Dans notre groupe, les envies se réalisent. Avant-hier, Flo a « commandé » une rencontre avec les cachalots. Hier, ils étaient au rendez-vous. Cathy a demandé à l’anticyclone des Açores d’agir sur le climat et nous offrir du soleil. Aujourd’hui, le temps est splendide. Tous, nous avons demandé pour cette après-midi des dauphins joueurs…

Comme la température est douce et que personne n’a vu de méduses depuis notre arrivée, quatre d’entre nous ont laissé la combi à l’hôtel. La mienne me serrait beaucoup, jusqu’à me faire mal. Ce choix me soulage. En plus, l’eau est bonne, même au large. Nous avons à peine quitté le port que les dauphins arrivent déjà. Les grands dauphins : dos gris et ventre blanc. Mais ce n’est pas permis de nager avec eux. Ils se câlinent, et avancent avec un but précis, semble-t-il. Parmi eux, nous reconnaissons des dauphins communs : plus petits, dos noir, tache jaune sur le côté, ventre blanc. Quelques minutes d’observation. Reconnaissance. Remerciements. Puis nous les quittons pour chercher une espèce autorisée. Nous croisons un cachalot. Solitaire. Il nage un peu en surface comme s’il nous attendait. Tous nos yeux sont rivés sur lui quand il décide de plonger. Sa tête longue et plate s’enfonce dans l’eau. Sous sa nageoire dorsale très courte, son dos s’arque. Sa queue majestueuse sort, accompagnée d’une vague transparente et dentelée. Immense et noire, la nageoire caudale se découpe quelque fraction de seconde sur le bleu changeant, puis descend lentement et disparaît.

Je ferme les yeux. Me capte sur des dauphins. Lesquels et où ? Je leur demande s’ils veulent bien jouer AVEC nous. Car le terme « joueur » peut s’interpréter : « entre eux » ou « avec le bateau » ! Puis, j’ajoute : « Où êtes-vous ? » Réponse : « Direction Horta »

J’envoie encore : « Nous venons vers vous ». Je reçois : « Nous sommes loin, mais nous nageons à votre rencontre. »

Aucune indication par radio de la part des vigies. Mario et Sophie ne savent pas quelle direction prendre. A notre groupe d’en suggérer une. Je tends la main vers Horta, comme au moins trois d’entre nous. Tous d’accord ? Quelle symbiose ! On fonce.

Le soleil chauffe. L’air, un peu frais, est vivifiant. Nous avalons les kilomètres (nautiques ?). Puis Mario oblique vers le large. Une baleine ? Plus précisément un cachalot. De loin, sa grande tête plate qui flotte est reconnaissable. De plus près, nous remarquons une forme grise plus petite. Sophie s’exclame : « Il y a un bébé ! » Le petit reste à l’avant de sa mère. Un puissant jet d’eau et un autre plus faible sortent parfois en même temps. Les trop jeunes baleines ne plongent pas. Elles doivent attendre à la surface quand leur mère va chasser. Ce que fait celle-ci. Notre bateau s’approche tout doucement du petit, placide. Va-t-on voir sa mère surgir devant nous, inquiète, ou irritée? Mais non. Nous passons à moins de deux mètres du bébé, qui ne bouge toujours pas. Le laissons sur le côté. Il s’immerge durant quelques minutes, puis réapparaît plus loin.

Nous continuons en direction de l’île de Faial, heureux de cet intermède. Après quelques minutes de navigation, nous repérons des dauphins bleu et blanc. Nos copains de jeu sautent et tournent autour du zodiaque. Frétillants, espiègles. Ils avancent vers nous par dizaines. Mais quand les deux premiers passagers descendent dans l’eau, les cétacés s’éloignent. Nous les contournons. Ils se rapprochent, respectent une distance raisonnable, mais moins grande que la première fois. Je me prépare. Glisse le long du boudin du zodiaque. A un mètre au plus devant moi, trois dauphins nagent. Je pourrais presque les toucher, mais ne le fais pas. Mes mains posées sur mes cuisses, je fais le « mort ». Surtout ne pas les inquiéter. D’autres passent sous moi, à plusieurs mètres de profondeur. Ils me regardent, temps suspendu. Se demandent qui je suis. Très réceptifs, ils captent mes intentions. Ils savent que je m’invite dans leur élément, mais que mes pensées sont douces. Je suis là par amour pour eux. Je comprends qu’ils préfèrent se suivre et jouer entre eux. Mais notre présence les amuse, les intrigue. Ils nous observent, prudents. Nous captent. Nous énergisent. Nous accueillent dans leur monde marin. Je les vois très nettement. Leur corps brille. L’eau est claire. Je palme un peu pour essayer de les suivre. En vain. Je lève la tête, hors de l’eau. Cherche le bateau. Il s’est déplacé. Vingt mètres au plus. Autour de moi, plus de dauphins. Ils sont tous partis… en apparence. Je remonte à bord.

Déjà, nos amis reviennent, toujours aussi vifs. Ils passent devant le zodiaque, ou dessous. Certains encadrent un petit. D’autres sautent. Vertical, l’un d’eux se cabre et plonge. Un autre sort à l’horizontale, vrille, agite sa nageoire caudale. Celui-ci redresse la tête pour nous observer au passage. A l’avant du bateau, quelques téméraires nagent à quelques centimètres sous la surface, très près de la coque. Leur dos capte le soleil. Ils ont l’air phosphorescent. Je leur dis en pensées qu’ils sont beaux et généreux. Des âmes élevées. Des êtres de lumière, libres des contraintes que nous, humains civilisés, avons créées pour notre malheur.

 

20 août 2015

Pendant notre petit-déjeuner, la pluie tombe dru. Quelques remarques pessimistes n’entachent pas mon enthousiasme. Toujours cette certitude qui ne me quitte pas. Je « sens » que le temps va s’arranger !

Quand nous quittons l’hôtel, à 8h30, les nuages laissent la place à de petites portions de ciel bleu. Depuis le port, nous constatons que seule l’île est couverte. L’océan, bleu foncé, s’agite un peu sous un plafond bleu pastel. Notre bateau file vers le large. Confiante, je sens que les dauphins nous attendent, nombreux. L’air est plus mordant que la veille. J’enfile mon k-way sur mon maillot de bain. A peine une demi-heure après notre départ, des dauphins tachetés arrivent depuis l’horizon. Par dizaines. Ils sautent en groupe, alignés. Un ballet aquatique. Mais dès que le zodiaque s’arrête, et que deux plongeurs s’incrustent dans leur élément, ils s’éloignent. Nous les rattrapons. Ils nous rejoignent nous suivent… nagent autour et devant le bateau. Où que l’on regarde, il y en a des dizaines, des centaines, même ! Des dauphins partout, qui sautent, oscillent, font la course avec nous. Leurs corps scintillent, ils effleurent la surface à quelques centimètres de la proue. A peine ils agitent leur queue qu’ils filent comme de petites torpilles. Ce matin-là, j’ai la joie de plonger trois fois. La première, trop tard. Plus personne ! La deuxième fois, cinq ou six dauphins évoluent à vue, juste sous la surface, devant moi. Mais ils s’éloignent déjà. Je les entends converser avec des petits cris courts et aigus. Ma troisième plongée me laisse un souvenir saisissant : Bercée par les vagues, je regarde vers le fond. Ils passent lentement de l’arrière vers l’avant, deux mètres sous moi. Lumineux et sereins. Même si je suis pour eux insolite, je sens que je ne suis pas une intruse.

Je comprends qu’il est possible de communiquer avec eux, même à distance. Depuis chez moi, j’ai préparé ce voyage, cette rencontre. Je leur ai demandé, avec humilité, de m’accepter parmi eux, de me rejoindre, de m’attendre, de me recevoir et enfin, m’accompagner, me répondre… Et quelle réponse ! Ils sont si nombreux. Des familles entières : mères, bébés de moins d’un mètre, nounous, frères, sœurs, pères je suppose… nagent à côté du bateau. Un petit, très vif, se détache du groupe. Il « fait la course », nous rattrape, nous dépasse, file sous la proue du zodiaque, et hop ! Il saute. Il a l’air de rire, comme s’il pensait : « Haha, j’ai été plus rapide que vous ! ». Plusieurs dauphins alignés sortent ensemble leurs évents, respirent et plongent dans le même mouvement. Un autre se détache et jaillit à plus d’un mètre au dessus de la surface. Il tournoie sur lui-même comme une ballerine. Arque sa tête et son dos, devient concave puis convexe et plonge. Des sauts acrobatiques comme celui qui se tourne sur le côté quand il se trouve totalement hors de l’eau, pour nous montrer son ventre blanc, ou pour nous observer, curieux, comme en suspension. Nous sommes avec eux depuis plus de deux heures. Il faut rentrer. Un dauphin nous offre un dernier saut : « Au revoir, les copains ! »

Ma mémoire s’est enrichie de sensations, d’images et d’histoires que je vais mettre des jours à digérer, décrire, écrire et dessiner. Besoin de calme. De me retrouver. Quelques brasses dans la piscine, parfois les yeux fermés, me rappellent des sensations récentes, liées au partage avec les dauphins.

L’après-midi se conclut par un moment ensemble. Détente, visualisation de notre monde intérieur. Refuge, lieu de paix, de rencontre avec notre enfant intérieur. Connexion avec la puissance divine, le « Moi » supérieur, chacun sa définition. Sans lui, rien n’est possible. Je comprends que notre vie est une étape dans un chemin en toute conscience. Il est possible de se rappeler qui nous sommes. Une vision du Tout, devenue concrète, me montre que nous sommes reliés : Humains et dauphins, comme avec tout être vivant dans ce monde…

Nous évoquons les souvenirs les plus marquants que nous avons vécus cette semaine. Chacun de nous repartira des Açores avec quelque chose de plus. L’harmonie qui soude notre groupe depuis le début me surprend encore. Respect, échange, partage, humour, mêmes intérêts, mêmes goûts… souvent. Jusque dans le choix des plats durant nos repas!

Nous quittons le personnel de l’hôtel avec une pointe de tristesse. Ils sont devenus nos amis. De même que Sophie, Flo, Sylvie, Cathy, Claire, Catherine et Alain resteront mes amis pour toujours. Nous projetons déjà de nous revoir. Il suffit de le vouloir, et les opportunités ne manqueront pas. C’est certain !

 

21 août 2015

Nous quittons Pico par beau temps. Encore pu embrasser Alain, Catherine et Sophie qui se sont levés tôt pour nous voir monter dans le taxi. Départ pour le port. Ferry jusqu’à Horta. Nous volons au dessus de l’île dans le soleil du matin. Longue attente à Lisbonne. Claire nous quitte presque tout de suite. Elle reste en ville jusqu’au lendemain et doit récupérer ses bagages. Flo et moi apprécions de passer encore un peu de temps avec Cathy et Sylvie. Nous décollons pour Genève alors que le soleil se couche. A travers mon hublot, j’admire le ciel rouge, dans lequel le globe s’éteint doucement. Il s’enfonce derrière la terre portugaise, prêt au sommeil.

Pendant ce voyage de retour, je ne dormirai pas. Je continue de remplir mon petit carnet brun d’anecdotes et de dessins.

 

Carine Racine – 29 août 2015